Réunie en Assemblée plénière le 18 février 2016, la CNCDH a adopté deux avis. Un premier sur le suivi de l'état d'urgence et un second sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.

Mis à jour le 4 mai 2021

Réunis en Assemblée plénière le 18 février 2016, les membres de la CNCDH ont débattu et adopté deux avis, un premier sur le suivi de l'état d'urgence et un second sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Ces textes ont été publiés au JORF n°0048, à retrouver ici

Vous trouverez ci-dessous le résumé, et ci-contre le document à télécharger. 

Pour en savoir plus sur le processus d'élaboration des avis de la CNCDH, cliquez ici. 

 

Avis sur le suivi de l'état d'urgence

Au lendemain du vote par le Parlement de la prorogation de l’état d’urgence, c’est un constat sévère que dresse la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la mise en œuvre de l’état d’urgence.

Saisie le 9 décembre 2015, par le président et le vice-président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, la CNCDH, institution nationale de promotion et protection des droits de l’homme, accréditée par les Nations Unies, participe au contrôle de l’état d’urgence déclenché au lendemain des attentats de novembre 2015.

 

Abus, dérives, débordements, détournements

3284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester : les chiffres du ministère de l’Intérieur posent le cadre.

Les résultats ? 29 infractions en lien avec le terrorisme ont été constatées. Ces infractions se ventilent de la façon suivante : 23 délits d’apologie d’actes de terrorisme et seulement 6 saisines du Parquet antiterroriste.

La réalité des mesures de l’état d’urgence, c’est aussi des :

  • Perquisitions menées de nuit, sans prendre en compte la présence au domicile de personnes vulnérables (dont de nombreux enfants terrorisés)
  • Comportements policiers peu adaptés (menottage abusif, mise en joue avec arme)
  • Nombreux dégâts matériels ou encore l’absence de remise systématique de l’ordre et du récépissé de perquisition
  • Assignations à résidence par nature attentatoires à la liberté d’aller et de venir et à bien d’autres droits, du fait des pointages imposés, la vie familiale et professionnelle ne peut qu’en être lourdement désorganisée
  • Détournements de l’état d’urgence, sans lien avec la lutte contre le terrorisme, pour entraver des manifestations d’écologistes, de syndicalistes, et pour lutter contre l’immigration clandestine ;des mesures qui pour l’essentiel sont de nature à stigmatiser une population et une appartenance religieuse

 

Le contrôle de l’état d’urgence : les déséquilibres démocratiques et les initiatives citoyennes

Décidées par la seule autorité administrative (ministre de l’Intérieur, préfets), les mesures de l’état d’urgence échappent totalement au contrôle a priori du juge judicaire. En outre, s’agissant du juge administratif, si les conditions d’un contrôle a posteriori se sont progressivement mises en place, leur efficacité est trop souvent entravée par la pauvreté des pièces (notes blanches) soumises au contrôle du juge.

Dans ce contexte, la CNCDH salue l’engagement résolu des journalistes, des associations et des citoyens qui, dans le quotidien de leur vie, se sont efforcés de recenser les abus et de les combattre.

Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, rappelle que « l’état d’urgence est un état d’exception qui doit demeurer circonscrit dans le temps, encadré et contrôlé strictement. La sortie de l’état d’urgence est une décision politique difficile, mais impérative. Le tribut que l’état d’urgence fait subir à la Nation et à ses citoyens est trop lourd, le respect de l’état de droit est un horizon non négociable ».

 

Avis sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation

Alors que le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation est en cours de discussion au Parlement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’insurge contre la constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, et manifeste sa plus profonde indignation.

De l’absolue nécessité de rejeter le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, l’état d’urgence doit demeurer un état d’exception ; le constitutionnaliser porterait lourdement atteinte aux équilibres démocratiques et libertés fondamentales.

« Ombre portée de la fondation », écrit Hannah Arendt, la Constitution est la Loi fondamentale qui scelle le socle des principes essentiels qui régissent notre démocratie. « La Constitution ne doit pas être un instrument de conjecture politique, alors que la Nation est sous le coup de l’émotion », rappelle avec force Christine Lazerges, présidente de la CNCDH.

Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution en période de crise aigüe revient à élever un régime d’exception, par définition attentatoire aux libertés et droits fondamentaux, au même rang que les droits de l’homme dont la reconnaissance fut, tout au long de notre histoire, un combat permanent. Constitutionnaliser l’état d’urgence c’est banaliser toutes les restrictions aux libertés avec leurs dérives.

Dans sa formulation, le texte soumis au Parlement comporte de nombreuses lacunes notamment : aucune définition précise des circonstances justifiant la déclaration de cet état d’exception par le chef de l’État, aucune limitation dans le temps, aucun contrôle a priori par le Parlement ou par le Conseil constitutionnel, ou encore aucune référence aux droits indérogeables. Tous ces silences ne manquent pas d’inquiéter quant à l’image de la France et quant au respect de ses engagements internationaux.

 

Constitutionnaliser la déchéance de nationalité, une violation intolérable des principes républicains

L’inscription de la déchéance de nationalité est de nature à créer des catégories de Français et à les diviser. Drapée dans la lutte contre le terrorisme, cette mesure à l’inefficacité achevée, est inconciliable avec l’article 1er de la Constitution qui proclame que la France est une République qui « assure l’égalité de tous les citoyens ». La Loi fondamentale créerait ainsi, de façon permanente et en dehors de toute référence au terrorisme, des citoyens de seconde zone en stigmatisant les binationaux, alors même que, pour la plupart d’entre eux, cette double nationalité leur est imposée à la naissance.

Si la mesure devait s’étendre aux mononationaux, l’apatridie guetterait. Dans ce contexte, la CNCDH ne peut que rappeler son profond attachement à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule que « Tout individu a droit à une nationalité ».

Dans ces temps troublés, il est impératif de porter haut les valeurs de la République, les équilibres démocratiques et la recherche de la cohésion nationale, et non de les sacrifier.

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